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    x- comme Rayée X


    Sous la glace, dans l'eau froide des lacs, les cheveux des noyés font comme des algues qui se balancent doucement dans le courant.

    Je vague un peu, tête en l'air, dans le vent d'hiver.
    J'ai volé cette journée !
    Je croise des spectres humains, sans visage et sans main, le dos courbé par le poids du froid.
    Rue St Denis, une odeur de torréfication me fait entrer dans un café. Je le choisi "à emporter". Les mains nues, je vais
    pouvoir me brûler la paume et l'intérieur des doigts à la chaleur du gobelet, pendant que l'autre côté se fera dévorer par le froid.
    Je prends des notes au hasard des rues : il n'y a pas assez de neige cette année : le Mont Royal est gris d'arbres, les
    rues sont presque propres. Juste un peu de sloche dans le caniveau. Le soleil est comme une boule à facettes projettant sa lumière mais ne donnant rien de plus. Un écureuil fouille une poubelle.
    J'ai volé cette journée !
    Je commence à avoir faim, et les odeurs de restaurants, de pains frais ou de pizza me font à chaque fois comme un
    coup de poing dans l'estomac. Bientôt je céderai, je le sais bien. Mais pour le moment, je fais la fière. Celle qui n'écoute pas...
    J'ai volé cette journée, et je dois en profiter pleinement. A quatre heures, cinq maximum, il fera trop froid pour rester
    dehors. Ca durera jusqu'à sept heures, puis la nuit sera belle.
    J'ai téléphoné ce matin pour dire que j'étais malade. J'ai laissé un message sur le répondeur de mon chef, de très
    bonne heure disant que je partais à l'urgence. En clair : je ne serais pas joignable...
    Pour une fois j'ai prit le bus. En heure de pointe, toute serrée par des inconnus. Et j'ai raté l'arrêt exprès parce que
    c'est quelque chose qu'on ne fait pas d'habitude.

    Ce matin je vis Montréal.

    Si c'était l'été...

    Sous le sable, dans la chaleur des déserts, les mains des morts font comme des racines de plantes décharnées rampant pour chercher l'eau.
    Je vague un peu, tête en l'air, dans les parfums stagnants.
    J'ai volé cette journée !
    Je ne croise que peu de monde, et ceux que je vois semblent devoir aller quelque part absolument. A l'ombre, sans doute.
    Rue St Denis, ça grouille un peu plus. Je regrette un peu d'être si au Sud, sinon j'aurais fait un détour par cette boulangerie pour un sorbet à la mangue du "Bilboquet". Je préfère pour le moment une simple bouteille d'eau glacée qui ne me rafraichira pas. Il fait trop chaud.
    Je note au hasard des rues : le Mont Royal est d'un vert qui fait presque mal aux yeux, et je me demande si je n'ai pas déja hâte qu'il prenne ses couleurs d'automne. Les rues portent encore la marque des déménagements du premier Juillet : vieilleries entassées pèle mêle devant les maisons ou dans les ruelles, piles branlantes de vieux journaux, télés ou imprimantes... Je joue à slalomer entre les tâches de soleil qui éclaboussent le trottoir. Un écureuil fouille une poubelle, comme il fouille à l'année longue, semblant toujours sortir le même trognon de pomme ou morceau de pizza.
    J'ai volé cette journée !
    J'ai faim... J'ai faim et les odeurs de graisse, de pains chauds ou de pizza à 99 cents la pointe me tournent le coeur et me donnent le goût de fuir. Je me demande pourquoi je ne suis pas capable de me nourrir de liquide seulement...
    J'ai volé cette journée, et je veux en profiter pleinement. Il faudra que je passe par la ville souterraine. Au moins pour me rafraichir dans ses longs couloirs noirs presque déserts aux heures de bureaux. Disons entre deux et trois heures cet après-midi je m'offrirais ce luxe...

    J'ai téléphoné ce matin pour dire que je ne rentrerai pas. J'ai laissé un message flou sur le répondeur de mon chef. De toutes façons, c'est très calme en ce moment. Je reste joignable quand même, mais mes batteries sont presqu'à plat. Dommage... Je rappellerais de la gare centrale s'il le faut. La conversation en sera écourtée à cause du bruit.
    Dommage...
    Je me suis payé le luxe d'un taxi, parce que je ne le prends jamais.. Un taxi tout frais, qui se faufilait dans la circulation comme une bulle climatisée. Le trajet était presque trop court, et j'ai même failli demander d'être déposée un peu plus loin, mais avant onze heure du matin, il fait encore bon pour être dehors. Alors...

    Ce matin, Ferré me sussurre que le bonheur, au fond, c'est simple : ce sont les ennuis qui se reposent.




    Bérénice


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