• Ca faisait longtemps que je n'avais pas parlé de [mysmallcompany].
    Parce que ça marchait pas fort. Et donc je voulais un peu faire autre chose. Mais là... c'est rendu que ça marche tellement pas fort que peut être [mysmallcompany] n'existera bientôt plus.

    Nos clients ne nous payent pas. Donc pas d'argent.
    Il y a des procès avec d'anciens dirigeants qui veulent des sous, donc on est obligé de casquer. Donc moins d'argent.
    Et arrive le moment de la paye. Pas d'argent + moins d'argent = retard dans la paye, et paye incomplète.
    Les assurances ne sont pas payées.
    Les REER ne sont plus alimentés.
    Je devais partir en Gaule... voyage annulé.

    Le moral est donc au plus bas. Ca parle dans les couloirs (et ailleurs). Ca murmure, et ça se plaint.
    Vendredi, j'étais dans un meeting où l'on parlait de l'éjection d'urgence d'une partie profitable de la compagnie pour la sauver en cas de naufrage. Le week-end s'annonce joyeusement à devoir lutter contre les mauvais scénarios qui défilent dans la tête.
    Parce qu'au bout du compte, la question est : dois-je quitter ?
    La réponse semble être un "oui" ferme et sans discussion. Sauf que...
    1- n'ayant pas internet à la maison (passez moi le couplet sur le primitif de ma situation, please...), je dois faire mes recherches ailleurs. Au boulot ? Pas assez idiot pour faire ça ! A la bibliothèque ? C'est mieux. Sauf que j'ai pas le temps de m'y rendre les soirs de semaine, et le dimanche... j'avoue avoir chose de plus exitant à faire.
    2- j'ai acquis une belle expérience où je suis. Et le secteur est tellement fermé que je devrais le quitter, me refaire une expérience ailleurs, etc.etc.etc.
    3- bizarrement, je continue de croire qu'on va s'en sortir. On est dans un momentum difficile. Aucune rentrée d'argent, donc pas de moyen de financer la R&D qui elle a besoin de faire avancer ses projets pour nous sortir du trou.

    Bref. C'est pas mal la galère.
    Heureusement, le Petit Cravaté est toujours là pour mettre un peu d'ambiance dans les meetings. Allez ! Je vous donne ses deux dernières interventions avec le contexte, pour bien comprendre. Et rappellez-vous qu'il vaut "mieux en rire de peur d'être obligé d'en pleurer".

    rappel : le petit cravaté est le chef des ressources humaines (RH).
    Situation 1: contexte : meeting houleux et passablement agressif où la direction se fait brasser pour non paiement de salaire. On en profite pour aborder tout et n'importe quoi, dont les nouveaux employés qui sont embauchés sans qu'ils nous soient présentés. Le Grand Chef se tourne vers le Petit Cravaté et lui fait remarquer qu'en temps que RH, il pourrait effectiveemnt le faire...
    Réponse du Petit Cravaté : "En temps que Ressources Humaines, n'est-ce pas, j'ai choisi de laisser les employés se présenter eux-mêmes s'ils le désirent. S'ils veulent le faire maintenant...".
    Silence dans la salle....

    Situation 2 : Contexte : meeting réduit pour décider de l'éjection rapide et sans douleur d'une cellule rentable de [mysmallcompany] pour ne pas la faire sombrer avec le reste du navire.
    On parle d'un nouvel investisseur qui n'investira que dans cette cellule, que les investisseurs actuels ont vendu cette cellule là. Le meeting parle de l'organigramme de la cellule, finances, locaux, etc. On insiste sur le fait que l'organigramme doit prévoir plus de postes qu'il n'y en a actuellement, pour palier les futurs besoins.
    Superbe, le Petit Cravaté demande : "Mais de quel investisseur s'agit-il ? De ****** ? (ancien investisseur... celui qui a vendu!)."
    "Non", lui répond-on, presqu'en coeur.
    "Mais alors de qui ? Il y a un nouvel investisseur ? Et pour tout [mysmallcompany] ?"
    J'ai soupiré, un autre a expliqué.
    Le plus drôle, c'est que j'ai lu, dernièrement, que pour être Directeur des RH, il ne fallait pas de diplôme spécifique. Ca fait plaisir ! J'ai ensuite vu le salaire d'un DRH. Ca fait pas plaisir...

    J'imagine tout à fait ce mec demander "Où est le sous-sol ?" dans un immeuble et se satisfaire de "C'est en bas !", comme réponse.
    Où bien rester planter dans le salon richement décoré du Titanic, entendre qu'on coule, et demander où se trouve la mer...

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  • Vous le savez je vous l'ai dit : ma femme a attrapé la grossesse.

    Et hier: visite chez le docteur pour écouter le coeur du bébé. Enfin du foetus.
    Ca bat vite...
    C'est un son irréel...

    En sortant de la clinique, j'avais l'impression de m'être penché sur le rebord de l'univers et d'avoir pu embrasser d'un seul regard son immensité.
    Cette sale impression de vertige ne m'a quittée que tard dans la soirée.
    J'étais épuisé. J'aurais voulu boire pour justifier cette marée. J'aurais voulu m'abrutir avec de la musique, des loops, des sons, de bruit, de violence.
    Au lieu de ça, effondré sur un fauteuil à la bibliothèque, j'ai lu deux BD de Soda, ce flic New-Yorkais qui fait croire à sa mère qu'il est pasteur. C'est l'inspecteur Harry en BD. Ca tire, ça tue. Et c'est sans espoir. Profondemment sans espoir.

    Curieux que devant cette vie qui grandit déja dans la mienne un tel désespoir m'inonde.
    I'm Swallowed In Black.

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  • Le long fleuve mort est assoupi dans la ville. ses maigres doigts glacés ont fouillé la moindre ruelle. les racines de ses jambes boivent l'une le fleuve St-Laurent, l'autre la rivière des Prairies, tandis que ses cheveux hideux poissent le haut des maisons. Et ses vomissures ont macule les parcs et les places.
    Dans cet univers étrange, les arbres ne sont plus que des fantômes d'eux-mêmes, leurs pâles silhouettes immobiles comme des noyés. Les édifices, eux, n'ont pas de fin. Les murs disparaissent, dilués, dans un horizon trop proche. Le monde nous apparaît d'un coup visiblement borné, comme un mauvais trucage au cinéma et infini tout à la fois, si on redevient petit enfant et que l'on joue à "et si...".

    Lorsque nous redevenons petit enfant... le monde du brouillard devient merveilleux. Les feux de circulation sont des balises de navigation. Les phares des automobiles les yeux phosphorescents de monstres à demi aveugles, comme ceux qui vivent dans les profondeurs des océans. Les maisons sont d'immenses vaisseaux spatiaux posés là, couvrant la Terre, en faisant presque le tour. Ce sont des hangars à provisions, à avions, à sous-marins, à machines fantastiques. Quant aux immeubles, s'élevant plus légèrement semble t-il dans la brume que des ballons, ce sont des tours à fusées ou à trains de l'espace. ce sont des immeubles qui font des kilomètres de haut, touchant presque la Lune.
    Lorsque nous redevenons enfant nous sommes tout petit à comparer de ces nouvelles règles du jeu. Et nous aimons ça.

    Lorsque nous redevenons adultes nous savons avec un frisson que dans un détour de brume, sans un bruit, une lame peut nous trancher el cou, crever le vaisseau liquide que nous sommes, et noircir de notre sang humide de vapeur d'eau cet univers bo-chromatique.
    Lorsque nous redevenons adultes nous savons que cette masse cotoneuse est viciée, empoisonnée.

    SI nous sommes amoureux, nous devinerons dans chaque silhouette celle de l'être que l'on cherche, que l'on a trouvé. Chaque forme anonyme passe en un instant d'espoir à déception, mais l'espoir gagnera ici tout le temps : il y a tellement de silhouettes !

    Et si nous sommes poètes, nous savons que les dieux jouent au hasard le destin de ce monde et que le brouillard qu'ils distillent n'est là - sublime cruauté - que pour nous empêcher de voir la face des dés.


    Qui êtes-vous dans le brouillard ?

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  • Il y eu d'abord Sophie dans son tablier bleu à poix blancs. Puis Pascale, et la première trahison d'un « copain ».
    Isabelle, avec qui je mangeais des bonbons à la réglisse en classe. Ses « encouragements », comme elle disait. Et puis une autre Isabelle que je n'aimais pas, celle-ci, avec son nom de coordonnées à la bataille navale.
    Geneviève, ma cousine, perdue de vu à 6 ans, retrouvée à 18... J'ai compris pourquoi j'aimais tant les genêts cette journée là : c'était son surmon...

    A Lyon il y a eu Valérie, avec ses billes à tirer et sa petite voix.
    Myriam et Martine les deux copines ont suivies. Myriam la rousse, Martine « la grande ». J'ai connu « Oxygène » de Jarre chez Myriam. Une semaine ensuite à avoir cet air en boucle dans ma tête...
    Et puis Murielle, premier flirt, premier rêve interrompu. Mais c'est pas grave. J'espère que la vie lui a souri à Murielle. Je l'ai revu une fois à La Part Dieu, « ma Murielle », des années plus tard. Toute belle jeune fille que n'ai pas osé appeler. J'étais dans la nuit.
    Puis Véronique et son amitié. Une autre Valérie, avec ses proverbes rigolos, et son chien « Pirate ». Puis Christelle. Après avoir lu « Une balle perdue », de Joseph Kessel, combien de fois j'ai rêvé de lui en coller une dans la tête à celle-ci ... !
    Nathalie et sa sale copine à qui j'ai volé un ourson en peluche minuscule. Ces deux là aussi méritaient des balles. Avec Claire en prime Trois pour le prix de deux ! Ma plainte de l'époque : « Que de balles perdues qui ne font pas leur boulot. »
    Il y a eu aussi Samia avec qui j'ai mangé des Tic-Tac à l'orange, en cours de physique, et surtout sa sœur Nadia, qui a toujours ma chaine en argent, mais que c'est pas grave parce que je la lui donne.
    Florence, au même moment, qui m'a fait connaître Tru$t. Enfin je connaissais un peu, mais elle m'en a dit plus. Elle m'a aussi parlé de Bob.
    Marley, of course !
    Aline, en fantôme, pour faire baver les autres....
    Carole, avec sa cicatrice sur la joue, cachée par une longue mèche de cheveux. Pour avoir son nom, j'avais volé son cartable et ouvert son cahier de correspondance. A cette époque déjà glacée, un prénom valait de l'or à mes yeux. Il me fallait un prénom pour mettre un visage sur ma solitude.
    Et puis Valérie. Le prénom que je cherchais. Celle qui effacera tout le monde, toutes les autres, tous les autres. Mon vice, ma drogue, mon échec. La plus belle chose de ma vie. L'éclipse totale de ma raison. Les ruines de mon cerveau. Mon pandémonium.
    Sylvie, qui écoutait du Thiéfaine (je m'en souviendrais après), et qui m'a reconnu des années plus tard, dans la rue. On a discuté, moi avec mes clous et mes badges sur ma veste de jean, elle son sac et son look « bab » comme toujours. Sympa qu'elle m'ait parlé. Elle a été un instant un beau feu pour une de ces froides journées de vie qui m'engluaient. Sylvie avec ses joues rouges, et son regard si pétillant de vie !
    Et puis Delphine, un peu après. Avec Jouda-la-gentille, en coup de vent. Delphine qui n'a rien compris, mais puis-je lui en vouloir ? Delphine et ses soirées à parler et à fumer. Delphine qui sans le savoir à recoller un peu les morceaux. Delphine que curieusement je crois voir souvent ici ou là...
    Delphine que j'ai interpellée par un poème venimeux en réponse au sien, tout doux. Delphine et ses 50 centimes que j'ai perdu il y a longtemps, ce que je regrette encore.

    Et puis toutes les autres dont je n'ai que le visage ou le parfum en mémoire, parce qu'on ne demande pas son prénom à chaque fille qu'on croise. Celle assise en tailleur en serrant un tableau de ses bras, comme pour le protéger du froid. Celle qui marchait pieds nus à Lyon, parce qu'elle aimait ça, tout simplement. Celle qui se payait son billet de train, tous les vendredis, en disant qu'il ne lui manquait que 5 francs, alors qu'elle n'avait rien. La première fois j'ai donné deux francs, tout ce que j'avais. La fois d'après cinq, en discutant un peu avec elle. Je lui ai demandé son prénom, mais je ne m'en souviens plus. Désolé.
    Celle qui me servait à la bibliothèque avec son parfum de caramel. Celle que je croisais en voiture tous les soirs en revenant du bureau, dans le même tournant. Je me demande si elle se disait la même chose.
    Toutes les filles à qui j'ai souris parce qu'elles attendaient le bus et qu'il faisait froid, ou qu'il pleuvait, et que parce qu'on est dans un monde malade on ne peut inviter une inconnue à se faire raccompagner chez elle ou n'importe où ailleurs.
    Les punks qui faisaient la manche à Franckfurt. Les Sénégalaises vues durant mon service militaire à Dakar, pendant un an, avec leurs beaux sourires aux dents toutes blanches et leur « merci » quand on leur donnait de l'eau, les anglaises, Sarah en tête, et leur accent quand elles parlaient le français, les françaises et les autres sur un banc, dans la rue, au travail, etc. etc. etc.
    Et bien sûr toutes celles d'entre vous qui venez et lisez ces mots, ceux d'avant, et ceux d'après s'il y en a. Vous toutes.


    Et enfin Virginie, ma femme, qui vient d'attraper la grossesse et que je suis terrifié à l'idée d'être père, de recommencer les mêmes erreurs de mon père, et de son père avant lui.
    Voilà c'est dit. Ca va pas mieux, mais c'est dit.

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  • Il n'y a jamais vraiment eu de première journée. Tout de suite l'horreur. Tout de suite la mort, la souffrance, le sang, les odeurs.
    La guerre est une bête qui n'attend que vous ayez prit vos marques, que vous soyez prête. Elle frappe, c'est tout. Ici c'est une mine qui saute, emportant un pied, une jambe, là un snipper, ailleurs un obus, venant de nulle part, seul, presque perdu, labourant la terre pour rien et tuant s'il le peut, presqu'en s'excusant.
    La mort frappe d'un claquement sec, fait un peur de poussière, puis plus rien.
    Plus souvent c'est pire. Quand la poussière retombe, un long hurlement monte de la gorge d'un soldat blessé. Il hurle, jure, pleure en même temps, appelant sa mère, sa femme ou je ne sais qui. Il prie, il appelle Dieu et tente de bouger, tente de regarder ce qui est blessé, ou parti.
    Puis il crie de plus belle...

    La première journée, ou la dernière, ou une autre entre les deux je ne sais plus, il y a eu ce garçon. Le ventre ouvert par un éclat de mortier, les intestins étalés dans le sang sur son treillis. Il tentait de relever la tête pour voir, tandis que je devais évaluer la priorité de son cas. Il me saisissait les bras gauche, me tirant pour me parler, me demander s'il allait vivre, s'il allait mourir, me dire qu'il avait froid, ou chaud, ou dire n'importe quoi. Ses jambes ne bougeaient pas, alors que je voyais ses efforts pour tenter de se tourner sur le côté. Ses doigts s'enfonçaient dans mon bras, et je devais constamment me détacher de lui. C'est difficile. Quand vous savez que l'homme qui saigne à blanc, couché à vos pieds va mourir, et que vous devez refuser ce contact glacé. Quand vous devez articuler clairement dans la radio le code de gravité, blessure au ventre, colonne vertébrale sectionnée, très grosse quantité de sang perdu, patient en état de choc, coma puis mort imminente, pas besoin d'intervention...
    J'ai fais une piqûre de morphine en promettant de revenir plus tard, en assurant que l'hélicoptère allait venir "très vite maintenant".
    Et j'ai rompu le contact ténu par un faux sourire, un geste amical sur l'épaule, et je suis partie vers un autre corps. Celui là était très mort, mais je me suis arrêtée pareil. Mes jambes ne me portaient plus. Je ne voyais plus rien. Il y avait trop de larmes dans mes yeux.

    Je connaissais le garçon à qui j'avais menti. J'avais été dans sa classe deux ans de suite, au collège Dargent, à Lyon. 5 ans plus tard, son nom me revenait en mémoire, celui qui était appelé juste avant le mien, dans les appels de classe. A la fin de la troisième, il était partit dans un lycée technique, et moi en littéraire, avant de changer d'orientation plusieurs fois et me retrouver ici, au Tchad.

    La vie frappe aussi brutalement que la guerre.
    Et on dit que le hasard fait bien les choses... ?



    Bérénice

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