• De la vie...

    Il n'y a jamais vraiment eu de première journée. Tout de suite l'horreur. Tout de suite la mort, la souffrance, le sang, les odeurs.
    La guerre est une bête qui n'attend que vous ayez prit vos marques, que vous soyez prête. Elle frappe, c'est tout. Ici c'est une mine qui saute, emportant un pied, une jambe, là un snipper, ailleurs un obus, venant de nulle part, seul, presque perdu, labourant la terre pour rien et tuant s'il le peut, presqu'en s'excusant.
    La mort frappe d'un claquement sec, fait un peur de poussière, puis plus rien.
    Plus souvent c'est pire. Quand la poussière retombe, un long hurlement monte de la gorge d'un soldat blessé. Il hurle, jure, pleure en même temps, appelant sa mère, sa femme ou je ne sais qui. Il prie, il appelle Dieu et tente de bouger, tente de regarder ce qui est blessé, ou parti.
    Puis il crie de plus belle...

    La première journée, ou la dernière, ou une autre entre les deux je ne sais plus, il y a eu ce garçon. Le ventre ouvert par un éclat de mortier, les intestins étalés dans le sang sur son treillis. Il tentait de relever la tête pour voir, tandis que je devais évaluer la priorité de son cas. Il me saisissait les bras gauche, me tirant pour me parler, me demander s'il allait vivre, s'il allait mourir, me dire qu'il avait froid, ou chaud, ou dire n'importe quoi. Ses jambes ne bougeaient pas, alors que je voyais ses efforts pour tenter de se tourner sur le côté. Ses doigts s'enfonçaient dans mon bras, et je devais constamment me détacher de lui. C'est difficile. Quand vous savez que l'homme qui saigne à blanc, couché à vos pieds va mourir, et que vous devez refuser ce contact glacé. Quand vous devez articuler clairement dans la radio le code de gravité, blessure au ventre, colonne vertébrale sectionnée, très grosse quantité de sang perdu, patient en état de choc, coma puis mort imminente, pas besoin d'intervention...
    J'ai fais une piqûre de morphine en promettant de revenir plus tard, en assurant que l'hélicoptère allait venir "très vite maintenant".
    Et j'ai rompu le contact ténu par un faux sourire, un geste amical sur l'épaule, et je suis partie vers un autre corps. Celui là était très mort, mais je me suis arrêtée pareil. Mes jambes ne me portaient plus. Je ne voyais plus rien. Il y avait trop de larmes dans mes yeux.

    Je connaissais le garçon à qui j'avais menti. J'avais été dans sa classe deux ans de suite, au collège Dargent, à Lyon. 5 ans plus tard, son nom me revenait en mémoire, celui qui était appelé juste avant le mien, dans les appels de classe. A la fin de la troisième, il était partit dans un lycée technique, et moi en littéraire, avant de changer d'orientation plusieurs fois et me retrouver ici, au Tchad.

    La vie frappe aussi brutalement que la guerre.
    Et on dit que le hasard fait bien les choses... ?



    Bérénice

  • Commentaires

    1
    Lundi 4 Septembre 2006 à 09:54
    bien
    écrit.
    2
    Jeudi 14 Septembre 2006 à 12:07
    ...
    Je suis là.
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