• p-

    p- comme : papa, pourquoi avoir permis que cette putain empoisonne ton petit garçon ?
    (Bien sûr, par putain je parle de sa mère, ta femme, mais pas au sens premier du terme.)

    Pourquoi n'avoir rien fait, rien dit, fermé les yeux, ouvert les mains, pendant que les choses se distillaient devant toi ? Avais-tu si peur de ta responsabilité ?
    Avais-tu si peur de la solitude ?
    Avais-tu si peur d'être différent ?
    De faire ce qui à l'époque ne se faisait pas... divorcer, te séparer ?


    Maintenant, je le vois ce petit garçon. Tout le temps, il est dans ma tête. Enfin quand je dis tout le temps... je mens.
    Parce que quand le petit garçon ne trébuche pas sur la vie, il ne cogne pas dans ma tête.
    Quand le ciel brille c'est une poignée de sucre d'orge cet enfant !

    Mais quand les oiseaux hurlent leurs chants, quand le soleil lui gerce la peau, quand les routes lui labourent le ventre tout est si différent !
    Il me change de couronne ! (et ça je n'aime pas, ... ça me fait mal)
    Il me tourne le dos, il me regarde au travers de lunettes de soleil, il se fait prison, muet, solitaire, sauvage comme un animal blessé qui saigne et qui part se cacher dans le bois pour lécher ses plaies.
    Il m'accuse de tous les maux.
    Je deviens Sa haine. Son instrument.
    Et je le coupe. Et son sang sort. Sa douleur à tout à coup un nom, une forme, et laisse une cicatrice croûtée sur un doigt, un avant bras, une joue.
    (Je le coupe dans sa tête, parce qu'un Guetteur ne peut plus faire ces choses là. Moi, la fille du Roi du Sud je le sais bien)


    Tu regrettes, « papa » ?
    Moi aussi. Tu es de toutes façons seul...
    Moi aussi. Le petit enfant est mort depuis si longtemps...
    Moi aussi. Je ne suis qu'une image créée dans un cerveau malade, alimentant par mon sang vos yeux et pour un instant vos pensées. (...pour un instant seulement. Le temps d'une étoile...)

    Ne m'en veuillez pas. Ce n'est pas de la haine, lecteur. Juste un accès de rage : je ne sais pas comment faire pour m'arracher le cœur.



    Bérénice


    4 commentaires
  • o-

    c- comme ode

    aux espoirs.

    J'ai voulu planter des fleurs. Sans épine à la tige. Avec de belles couleurs, délicates, soyeuses. Et un parfum doux et enivrant. Chaud. Riche.
    Mais le petit garçon est couché sur le dos, les bras le long du corps, bien sages.

    J'ai voulu semer. N'importe quoi. Des herbes folles, du blé, des fleurs des champs. Faire un bouquet sauvage et coloré de nature.
    Mais le petit garçon est comme un arbre au bord de l'eau. Son ombre est fraîche, mais empoisonnée.

    Et puis j'ai voulu vivre. Pour moi. Pour les autres.
    Mais il y avait le Crabe qui veillait. Un air d'adulte un peu perdu dans le regard, une terreur d'enfant à l'idée de me perdre. Pas vraiment de la malveillance, notez...
    Juste de la pourriture dans le cœur, et de la moisissure sur les poumons.
    Et le petit garçon qui me répète « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans ... j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans ... ».

    J'ai le cerveau en ruines. Et comme l'homme à la cervelle d'or, je racle un peu chaque jour mon crâne pour déposer un peu d'or ici et là.
    Mais le Crabe me rejoint, les yeux fixés sur l'océan, et me chuchote « Breathe on, sister... breathe on. There is no hope. »

    Et la chanson horrible qui revient, qui appartient à un autre :
    « Un, deux,
    Pourquoi chercher le jeu,
    Trois, quatre,
    Ce n'est qu'un simulacre ».

    Le Crabe, le petit garçon, cette chevelure même...



    Bérénice

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  • n-

    n- comme Novembre.

    No v ambre...
    No vi ambre...
    </span />Nos vies ambre.

    J'ai relu mes maux, et j'ai trouvé qu'un peu trop souvent il est question d'ailes.
    Celles qui me poussent dans le dos.
    Celles qui me pèsent.
    Celles qui me déchirent la chair.

    Ai-je à ce point envie de liberté ? A ce point envie de respirer ?
    Je n'aime pas l'eau, depuis que la mère du petit garçon jusqu'à l'âge de douze ans le lavait. Et quand venait le moment du rinçage de la tête, il fermait les yeux très fort, et le nez, et la bouche, et il hurlait à l'intérieur qu'il allait mourir, que le flot de la douche ne s'arrêterait jamais. Qu'il allait mourir ! Qu'il allait mourir ! Avec un goût âcre dans le nez, douceâtre dans la bouche et les yeux brûlants.


    Novembre.

    Je me statufie en silhouette d'ambre doré. Un bel objet qui amplifie la lumière et l'adoucie. Qui met du soleil là où il n'y en a plus depuis longtemps.
    Le petit garçon me regarde et apprécie. Il ne sourit pas, car sa bouche est cousue, mais il sourit quand même.
    Dedans.
    En secret.
    Mais comme une fleur maladive je suis en lui et je vois le sourire.

    Et ma lumière se fait mer. Je deviens odeur et goût de sel, embruns qui poissent ses cheveux. L'enfant sourit toujours.
    Il est ermite, brusquement, sur une grève déserte, un jour d'orage.
    Il a cent ans.

    Et je roule mes vagues lourdes comme du plomb. Je les jette contre les rochers où elles éclatent en étoiles coupantes comme des rasoirs.
    L'enfant sourit toujours.
    Et j'invoque un vent chaud comme du sang, mêlé de pluie, de mer, de morceaux de vagues, de morceaux de plage.
    L'enfant vacille, les cheveux comme des algues échouées.
    Et il rit, vieux de mille ans !
    Il rit, avec ses dents si blanche qu'on dirait des os.
    Il rit, libéré des coutures qui le défigurait.

    Il rit parce qu'il a mille ans.
    Il rit parce qu'il le sait.
    Il rit parce qu'il est encore en vie !

    Alors je fais naître une trouée dans les nuages, et j'y verse un peu d'ambre liquide qui illumine tout : les rochers, la mer, les nuages, le sable, les herbes folles qui retiennent le sable des dunes. Et pour un instant... tout est en or.

    L'enfant à dix ans.
    Il tombe à genoux, de la bave sur le menton.
    Il bave, ivre d'avoir rit.
    Ivre d'avoir vécu. Ivre de sentir son cœur battre dans sa poitrine trop maigre.


    Et moi, pour le remercier de m'avoir fait exister un instant encore, je m'ouvre en un bouquet de parfums.



    Bérénice


    1 commentaire
  • m-

    mal


    Un oiseau étrange (qui n'est pas mon coeur), se bat dans ma poitrine qui l'ensère comme une cage.
    Et je me demande ce qui fait le plus mal. Ses ailes, qui battent contre mes cotes, mes poumons ? Ou la présence même de cet oiseau qui vit dans ma chair ?

    Il y a des flaques qui naissent au bout de mes doigts. Des petites flaques d'eau bleu qui reflètent un ciel toujours sans nuage, un beau ciel bleu - évidemment.
    Il y a des morceaux de verre dans mes yeux qui ajoutent un éclat toujours brillant à mon regard. Et qui me font voir un soleil au fond des flaques d'eau de mes doigts.

    Je saigne du dedans. Et c'est presque beau.




    Bérénice


    2 commentaires
  • l-

    l...
    l n'a plus d'l...

    J'ai souvent rêvé de mourir dans les bras d'une amie, ou d'un ami. Se sentir partir doucement, perdre peu à peu sa chaleur, et sentir l'autre, à côté, qui est comme un gros radiateur.
    Entendre ses mots qui calmeraient devant cet abime. L'entendre murmurer "N'ai pas peur, Bérénice. Tout va bien aller. Doucement... Descends doucement... Je te tiens..."
    Ou bien tenir la personne qui compterait le plus au monde dans mes bras, caresser son visage de mes cheveux, remettre en place ses mèches de cheveux, collées et poisseuses de sueur, et sourire pour ne pas montrer la peur et la mort au fond de mes yeux.
    Partir, de toutes façons.

    Je n'ai jamais été douée pour les relations. J'ai alors très jeune choisi la solitude.
    Alors au Grand Moment il n'y aura personne de penché sur mon épaule, personne à qui tenir la main une dernière fois.
    Mais je me raconterai cette histoire "de princesses et de cerf-volants".
    Cette histoire que j'imaginais quand j'étais toute petite au fond de mon lit, et que j'avais peur de la vie, quand je ne savais pas comment faire pour qu'elle s'arrête enfin.

    "Il était une fois une petite fille toute blonde avec des yeux bleus, fille de roi. Comme je connais la fin de l'histoire, je peux vous dire que tout le monde aimait beaucoup la petite fille, mais qu'à cause de la méchante reine qui planta un morceau de vitre dans le coeur de sa fille, celle-ci ne pouvait pas le savoir. La vitre était magique, en effet, car plantée dans le milieu du coeur - exactement au milieu - elle abimait aussi le cerveau.
    Alors la petite fille a grandi, toute seule, sans voir la joie qui naissait de la vie, autour d'elle.
    La vie de la petite fille aurait pu être très très triste, mais elle avait un secret : chaque fois qu'elle se sentait abandonnée, elle pensait très fort qu'elle avait des ailes dans le dos et devinez quoi ? De belles ailes toutes bleues lui poussaient, et elle s'envolait alors pour voir la vie de très loin, d'en haut. C'était si beau, alors !
    (J'entends ici les parents se dire que cette histoire n'est pas pour les enfants, car on ne peut pas s'envoler sans l'aide de substances illicites... Pauvres fous ! Comprennez donc que la petite fille ne savait même pas que ça existait ! A cette époque l'innocence existait encore...)

    Et un jour, la petite fille a lu "La petite fille aux allumettes". Elle a pleuré. Tout à coup son status de fille de roi lui a semblé bien lourd pour autant de peine.
    Et elle s'est aussi aperçue que les ailes bleues qui naissaient étaient en fait des chaines avec des hameçons et des crochets qui déchiraient la chair. Des morceaux de métal qui mordaient, et transformaient la petite fille en une chose hurlante et bavante, qui aboyait férocement contre ces putains d'adultes qui massacrent, arrachent, cassent, détruisent tout ce qu'ils touchent, voient, ou créent !
    Et pour faire taire la bête tapie au fond des yeux, il fallait faire renaitre la mémoire de cette petite fille aux allumettes qui meurt de froid dans l'indifférence."


    Alors ma haine sera justifiée.
    Alors ma solitude sera expliquée.
    Et tout sera bouclé.

    ... Enfin.



    Bérénice


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