• u-

    Une solitude de désert, avec du sable froid comme des grains de glace, coupants comme des rasoirs.
    Un dégradé de gris, avec, ci et là, des flaques rouges pour le sang et bleues pour les larmes.
    Un monde d'odeurs riches et sucrées : fleurs d'été, lavande, vanille, miel, forêt, feuilles en décomposition, sève de sapin.
    Un monde sans relief, sans reflet. Un monde stérile.


    u- comme univers étrange

    L'unique soleil pâle ne chauffait rien.
    Il y avait une guerre constante qui maculait la terre de cadavres gonflés aux membres de métal curieusement tordus. Le vacarme des armes était assourdissant. Des machines s'affrontaient; des parodies de formes humaines si lourdement armées qu'elles ne se mouvaient que très lentement, proies faciles s'éliminant les unes après les autres. Il n'y avait aucune vie dans aucune veine. Aucun espoir.
    Lorsque toutes les machines s'étaient anéanties, tout recommençait, en un cauchemard constant. Les armées se reformaient sur les restes des machines, grinçantes, sifflantes, haineuses et froides. Mais il n'y avait aucun bruit audible. Tout était suggéré. Tout était horriblement muet.
    Ca et là des ruines si vétustes et si ravagées qu'il était impossible de leur donner un âge ou une fonction naissaient suite à une explosion qui retournait la terre. Elles disparaissaient aussi brutalement dans un autre spasme de boue.

    J'ai offert un petit homme au petit garçon. La magie de la vie a calmé cet univers violent, irréel et inhumain.
    Des fleurs poussent et fleurissent dans le désert, faisant fondre la glace et émoussant les rasoirs.
    Des arcs-en-ciel bavent un peu partout.
    Les odeurs sont toujours là, mais exhalées par autre chose que des souvenirs ou des rêves.
    Des ravins a explorer et des montagnes a escalader sont nées dans un monde grouillant de vie et de sons.


    u- comme univers étrange, changeant, mouvant, déconstruit, reconstruit, fragile à jamais.




    Les fantômes s'endorment plaisiblement.






    Bérénice

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  • t-

    t- comme tout doucement, le prendre dans mes bras, et sentir ma chaleur se dissiper en lui. Le réchauffer. Prélude à l'amour.

    t- comme tranquillement me coucher sous lui, et mettre mes mains dans ses mains, mes yeux dans ses yeux, mon nez contre son nez, coller ma bouche contre sa bouche, et le voir boire. Le sentir boire ma vie. Le savoir aspirer mon âme même.

    Tristement mourir encore une fois, seule dans ses bras, sans souffrance. Déja morte.


    t- comme tombe.
    Le petit garçon m'avait promis un lit de mort parfumé de menthe et de baies de genièvre. Et un grand feu, surtout, pour me préparer à cette nouvelle nuit...

    Il est prostré à genoux, les deux mains pétrissant la terre comme une glaise coupable.
    Et il pleure en marmonant.
    Il pleure à en perdre haleine, tout étourdit, pendant que je reste plantée en vestige comme un pieu au fond d'un trou.



    Le petit garçon avait promis...
    Le petit garçon avait promis...







    Bérénice

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  • s-

    s- comme insulteS



    Tu n'es qu'un petit con, dit le père.
    Tu as agis comme un salaud, dit la mère.
    Ou réciproquement, peu importe.



    Car le petit garçon, un soir de 1981, avait demandé à ses parents d'arrêter de s'engueuler tout le temps. Il voulait faire ses devoirs.




    C'est peu après que je suis arrivée. "Je suis née d'un regard", m'a écrit le poète. Comme il avait raison !



    J'ai trouvé le petit garçon étendu sur le dos, déjà tout glacé de la gangrène qui lui pourrissait le ventre. J'ai plongé mes mains pour retirer les tâches sanglantes, encore, et encore, et encore. Ca a duré longtemps.
    J'avais mal de le voir souffrir, alors je me suis faite danseuse pour lui.
    Je me suis faite selon son rêve d'enfant malade.



    Puis son coeur a quand même perdu courage. Alors je l'ai prit dans mes mains comme on prend un oiseau blessé pour le protéger. Mes mains pleines de pourriture l'on réchauffé, ce petit morceau de viande innocent.
    Et la gangrène lui a gagné le coeur. Ca l'a grignoté comme un ver dans un fruit trop mûr. Ca l'a bouffé et je pouvais rien faire. Ca l'a brûlé et j'ai regardé faire, sans rien dire, ou en disant que je ne comprennais pas. Je me suis faite menteuse pour lui.
    Je me suis faite selon son rêve d'adulte mort.



    Où est ma faute, lecteur ?




    OÙ EST MA FAUTE, LECTEUR ?







    Bérénice


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  • r-

    r- comme retour. Regret.

    Un arbre, à la lisière d'une forêt.
    Un arbre devant une lande défrichée, qui sait qu'un jour viendra son tour.
    Un arbre avec un garçon sur une branche qui grave avec son canif un morceau d'écorce trouvé par terre.
    Une date.
    Un prénom de fille.
    Et deux trous pour faire passer la ficelle qui maintiendra l'écorce à la branche de l'arbre.

    Le garçon s'est éloigné sans se retourner à travers la poussière et le pollen de cette lande sucrée par une fin d'après midi. Il n'est jamais revenu sur la tombe de son souvenir.


    Et si...
    Et s'il était repassé sur cette terre, un mois ou un an plus tard... aurait-il repensé au prénom gravé ? Serait-il remonté sur la branche pour voir si cette "bouteille à la mer" d'un nouveau genre avait trouvé un port ?

    Moi j'ai posé la question.
    Et je n'ai pas reçu de réponse.

    Car revenir c'est mourir un peu, m'a t-il dit.
    Chercher le mal sur une lande en friche craquantes d'herbes et tâchée de fleurs sauvages ?
    Remplacer ce goût de sucre et de liberté qui fait tant saliver ?
    Il m'a récité ces vers magnifiques de Rimbaud :

    "Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
    Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
    Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
    Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
    Par la nature, heureux comme avec une femme."

    Et il m'a répété "J'irais loin, bien loin, heureux comme avec une femme.".
    Il souriait.
    Et j'ai compris que je l'avais perdu.





    Bérénice

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  • q-

    q- comme... Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? Moi aussi je traverse l'existence en vacillant, sans savoir de quel bord exactement je vais tomber !  Moi aussi je suis décalée et suis spectatrice de ce monde sans me sentir concernée ni attirée par le bal !

    Et le petit garçon qui se retrouve dans son monde étrange, juste maintenant... Son monde fait de mots de passe et de codes. Son monde de violence, de paranoïa, de peurs. Horrible toile tissée de fils de fer barbelés.
    Son monde dont je n'ai plus les accès. Tout est passé en mode "random", génération de mots de passe aléatoires et polymorphes. Toutes les back-doors ont été détruites, les Trojans effacés... Plus personne ne peut le contacter.
    Il est loin, et pourtant si proche !  Je peux le voir, lui parler, lui prendre la main... mais on fond de lui il est ailleurs, à se débattre tout seul, inaccessible. Je sais quand ses yeux sont vides.
    Moi qui devrait plonger mes mains dans sa poitrine pour aider son coeur à battre, comment je fais ?
    Et moi qui devait lui anesthésier les nerfs avec mon souffle, comment je fais ?
    Et pour lui découdre les yeux ? Pour lui ouvrir les poings à coup de rasoir ? Pour lui trépaner le coeur ?

    Quand il se ferme à son infirmière, son opium, je tremble toujours. D'accord il en est revenu à chaque fois, déchiqueté mais vivant ! Mais je me dis tout le temps "Et si cette fois..."


    Je ne veux pas terminer cette histoire. Parce que sans lui tout s'arrête. Vraiment.





    Bérénice

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