• Il y eu d'abord Sophie dans son tablier bleu à poix blancs. Puis Pascale, et la première trahison d'un « copain ».
    Isabelle, avec qui je mangeais des bonbons à la réglisse en classe. Ses « encouragements », comme elle disait. Et puis une autre Isabelle que je n'aimais pas, celle-ci, avec son nom de coordonnées à la bataille navale.
    Geneviève, ma cousine, perdue de vu à 6 ans, retrouvée à 18... J'ai compris pourquoi j'aimais tant les genêts cette journée là : c'était son surmon...

    A Lyon il y a eu Valérie, avec ses billes à tirer et sa petite voix.
    Myriam et Martine les deux copines ont suivies. Myriam la rousse, Martine « la grande ». J'ai connu « Oxygène » de Jarre chez Myriam. Une semaine ensuite à avoir cet air en boucle dans ma tête...
    Et puis Murielle, premier flirt, premier rêve interrompu. Mais c'est pas grave. J'espère que la vie lui a souri à Murielle. Je l'ai revu une fois à La Part Dieu, « ma Murielle », des années plus tard. Toute belle jeune fille que n'ai pas osé appeler. J'étais dans la nuit.
    Puis Véronique et son amitié. Une autre Valérie, avec ses proverbes rigolos, et son chien « Pirate ». Puis Christelle. Après avoir lu « Une balle perdue », de Joseph Kessel, combien de fois j'ai rêvé de lui en coller une dans la tête à celle-ci ... !
    Nathalie et sa sale copine à qui j'ai volé un ourson en peluche minuscule. Ces deux là aussi méritaient des balles. Avec Claire en prime Trois pour le prix de deux ! Ma plainte de l'époque : « Que de balles perdues qui ne font pas leur boulot. »
    Il y a eu aussi Samia avec qui j'ai mangé des Tic-Tac à l'orange, en cours de physique, et surtout sa sœur Nadia, qui a toujours ma chaine en argent, mais que c'est pas grave parce que je la lui donne.
    Florence, au même moment, qui m'a fait connaître Tru$t. Enfin je connaissais un peu, mais elle m'en a dit plus. Elle m'a aussi parlé de Bob.
    Marley, of course !
    Aline, en fantôme, pour faire baver les autres....
    Carole, avec sa cicatrice sur la joue, cachée par une longue mèche de cheveux. Pour avoir son nom, j'avais volé son cartable et ouvert son cahier de correspondance. A cette époque déjà glacée, un prénom valait de l'or à mes yeux. Il me fallait un prénom pour mettre un visage sur ma solitude.
    Et puis Valérie. Le prénom que je cherchais. Celle qui effacera tout le monde, toutes les autres, tous les autres. Mon vice, ma drogue, mon échec. La plus belle chose de ma vie. L'éclipse totale de ma raison. Les ruines de mon cerveau. Mon pandémonium.
    Sylvie, qui écoutait du Thiéfaine (je m'en souviendrais après), et qui m'a reconnu des années plus tard, dans la rue. On a discuté, moi avec mes clous et mes badges sur ma veste de jean, elle son sac et son look « bab » comme toujours. Sympa qu'elle m'ait parlé. Elle a été un instant un beau feu pour une de ces froides journées de vie qui m'engluaient. Sylvie avec ses joues rouges, et son regard si pétillant de vie !
    Et puis Delphine, un peu après. Avec Jouda-la-gentille, en coup de vent. Delphine qui n'a rien compris, mais puis-je lui en vouloir ? Delphine et ses soirées à parler et à fumer. Delphine qui sans le savoir à recoller un peu les morceaux. Delphine que curieusement je crois voir souvent ici ou là...
    Delphine que j'ai interpellée par un poème venimeux en réponse au sien, tout doux. Delphine et ses 50 centimes que j'ai perdu il y a longtemps, ce que je regrette encore.

    Et puis toutes les autres dont je n'ai que le visage ou le parfum en mémoire, parce qu'on ne demande pas son prénom à chaque fille qu'on croise. Celle assise en tailleur en serrant un tableau de ses bras, comme pour le protéger du froid. Celle qui marchait pieds nus à Lyon, parce qu'elle aimait ça, tout simplement. Celle qui se payait son billet de train, tous les vendredis, en disant qu'il ne lui manquait que 5 francs, alors qu'elle n'avait rien. La première fois j'ai donné deux francs, tout ce que j'avais. La fois d'après cinq, en discutant un peu avec elle. Je lui ai demandé son prénom, mais je ne m'en souviens plus. Désolé.
    Celle qui me servait à la bibliothèque avec son parfum de caramel. Celle que je croisais en voiture tous les soirs en revenant du bureau, dans le même tournant. Je me demande si elle se disait la même chose.
    Toutes les filles à qui j'ai souris parce qu'elles attendaient le bus et qu'il faisait froid, ou qu'il pleuvait, et que parce qu'on est dans un monde malade on ne peut inviter une inconnue à se faire raccompagner chez elle ou n'importe où ailleurs.
    Les punks qui faisaient la manche à Franckfurt. Les Sénégalaises vues durant mon service militaire à Dakar, pendant un an, avec leurs beaux sourires aux dents toutes blanches et leur « merci » quand on leur donnait de l'eau, les anglaises, Sarah en tête, et leur accent quand elles parlaient le français, les françaises et les autres sur un banc, dans la rue, au travail, etc. etc. etc.
    Et bien sûr toutes celles d'entre vous qui venez et lisez ces mots, ceux d'avant, et ceux d'après s'il y en a. Vous toutes.


    Et enfin Virginie, ma femme, qui vient d'attraper la grossesse et que je suis terrifié à l'idée d'être père, de recommencer les mêmes erreurs de mon père, et de son père avant lui.
    Voilà c'est dit. Ca va pas mieux, mais c'est dit.

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  • s-

    s- comme insulteS



    Tu n'es qu'un petit con, dit le père.
    Tu as agis comme un salaud, dit la mère.
    Ou réciproquement, peu importe.



    Car le petit garçon, un soir de 1981, avait demandé à ses parents d'arrêter de s'engueuler tout le temps. Il voulait faire ses devoirs.




    C'est peu après que je suis arrivée. "Je suis née d'un regard", m'a écrit le poète. Comme il avait raison !



    J'ai trouvé le petit garçon étendu sur le dos, déjà tout glacé de la gangrène qui lui pourrissait le ventre. J'ai plongé mes mains pour retirer les tâches sanglantes, encore, et encore, et encore. Ca a duré longtemps.
    J'avais mal de le voir souffrir, alors je me suis faite danseuse pour lui.
    Je me suis faite selon son rêve d'enfant malade.



    Puis son coeur a quand même perdu courage. Alors je l'ai prit dans mes mains comme on prend un oiseau blessé pour le protéger. Mes mains pleines de pourriture l'on réchauffé, ce petit morceau de viande innocent.
    Et la gangrène lui a gagné le coeur. Ca l'a grignoté comme un ver dans un fruit trop mûr. Ca l'a bouffé et je pouvais rien faire. Ca l'a brûlé et j'ai regardé faire, sans rien dire, ou en disant que je ne comprennais pas. Je me suis faite menteuse pour lui.
    Je me suis faite selon son rêve d'adulte mort.



    Où est ma faute, lecteur ?




    OÙ EST MA FAUTE, LECTEUR ?







    Bérénice


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  • r-

    r- comme retour. Regret.

    Un arbre, à la lisière d'une forêt.
    Un arbre devant une lande défrichée, qui sait qu'un jour viendra son tour.
    Un arbre avec un garçon sur une branche qui grave avec son canif un morceau d'écorce trouvé par terre.
    Une date.
    Un prénom de fille.
    Et deux trous pour faire passer la ficelle qui maintiendra l'écorce à la branche de l'arbre.

    Le garçon s'est éloigné sans se retourner à travers la poussière et le pollen de cette lande sucrée par une fin d'après midi. Il n'est jamais revenu sur la tombe de son souvenir.


    Et si...
    Et s'il était repassé sur cette terre, un mois ou un an plus tard... aurait-il repensé au prénom gravé ? Serait-il remonté sur la branche pour voir si cette "bouteille à la mer" d'un nouveau genre avait trouvé un port ?

    Moi j'ai posé la question.
    Et je n'ai pas reçu de réponse.

    Car revenir c'est mourir un peu, m'a t-il dit.
    Chercher le mal sur une lande en friche craquantes d'herbes et tâchée de fleurs sauvages ?
    Remplacer ce goût de sucre et de liberté qui fait tant saliver ?
    Il m'a récité ces vers magnifiques de Rimbaud :

    "Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
    Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
    Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
    Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
    Par la nature, heureux comme avec une femme."

    Et il m'a répété "J'irais loin, bien loin, heureux comme avec une femme.".
    Il souriait.
    Et j'ai compris que je l'avais perdu.





    Bérénice

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  • Il n'y a jamais vraiment eu de première journée. Tout de suite l'horreur. Tout de suite la mort, la souffrance, le sang, les odeurs.
    La guerre est une bête qui n'attend que vous ayez prit vos marques, que vous soyez prête. Elle frappe, c'est tout. Ici c'est une mine qui saute, emportant un pied, une jambe, là un snipper, ailleurs un obus, venant de nulle part, seul, presque perdu, labourant la terre pour rien et tuant s'il le peut, presqu'en s'excusant.
    La mort frappe d'un claquement sec, fait un peur de poussière, puis plus rien.
    Plus souvent c'est pire. Quand la poussière retombe, un long hurlement monte de la gorge d'un soldat blessé. Il hurle, jure, pleure en même temps, appelant sa mère, sa femme ou je ne sais qui. Il prie, il appelle Dieu et tente de bouger, tente de regarder ce qui est blessé, ou parti.
    Puis il crie de plus belle...

    La première journée, ou la dernière, ou une autre entre les deux je ne sais plus, il y a eu ce garçon. Le ventre ouvert par un éclat de mortier, les intestins étalés dans le sang sur son treillis. Il tentait de relever la tête pour voir, tandis que je devais évaluer la priorité de son cas. Il me saisissait les bras gauche, me tirant pour me parler, me demander s'il allait vivre, s'il allait mourir, me dire qu'il avait froid, ou chaud, ou dire n'importe quoi. Ses jambes ne bougeaient pas, alors que je voyais ses efforts pour tenter de se tourner sur le côté. Ses doigts s'enfonçaient dans mon bras, et je devais constamment me détacher de lui. C'est difficile. Quand vous savez que l'homme qui saigne à blanc, couché à vos pieds va mourir, et que vous devez refuser ce contact glacé. Quand vous devez articuler clairement dans la radio le code de gravité, blessure au ventre, colonne vertébrale sectionnée, très grosse quantité de sang perdu, patient en état de choc, coma puis mort imminente, pas besoin d'intervention...
    J'ai fais une piqûre de morphine en promettant de revenir plus tard, en assurant que l'hélicoptère allait venir "très vite maintenant".
    Et j'ai rompu le contact ténu par un faux sourire, un geste amical sur l'épaule, et je suis partie vers un autre corps. Celui là était très mort, mais je me suis arrêtée pareil. Mes jambes ne me portaient plus. Je ne voyais plus rien. Il y avait trop de larmes dans mes yeux.

    Je connaissais le garçon à qui j'avais menti. J'avais été dans sa classe deux ans de suite, au collège Dargent, à Lyon. 5 ans plus tard, son nom me revenait en mémoire, celui qui était appelé juste avant le mien, dans les appels de classe. A la fin de la troisième, il était partit dans un lycée technique, et moi en littéraire, avant de changer d'orientation plusieurs fois et me retrouver ici, au Tchad.

    La vie frappe aussi brutalement que la guerre.
    Et on dit que le hasard fait bien les choses... ?



    Bérénice

    2 commentaires

  • Toujours Primus.

    Et cette guitare !

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